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Un Gisement Martyr : L'Abri André Ragout, au Bois-du-Roc (Vilhonneur-Charente) A Vilhonneur, c'est-à-dire à mi-route entre Montbron et La Rochefoucauld, la rive gauche de la Tardoire est dominée par une série d'éperons calcaires plus ou moins détachés du plateau. Les cartes les figurent comme un groupe de buttes-témoins. En fait, seul un de ces monticules est complètement isolé dans la vallée : c'est le "Roc plat", plus connu depuis que la végétation forestière l'a envahi, à la fin du siècle dernier, sous le nom de "Bois-du-Roc". Ce nom est familier aux préhistoriens. Il désigne une céramique de l'âge du Bronze dont les tessons jonchent encore la terre noire superficielle du Bois; on a gardé le souvenir de la "Grotte sépulcrale" ou "Grotte des Fades" et de l'Abri du Bronze, fouillés autrefois; beaucoup ont visité le chantier de l'Abri du Chasseur, ouvert par mon beau-père, André Ragout, en 1933. On sait enfin que le Bois-du-Roc s'inscrit dans un ensemble remarquable de stations paléolithiques, dont les plus connues sont le Placard, l'Ammonite, la Cave et, de part et d'autre de Vilhonneur, La Chaise, Montgaudier, Fontéchevade et Marîllac. En fait, le Bois-du-Roc est une véritable
taupinière et j'y connais de nombreuses cavités plus ou moins explorées. Si plusieurs d'entre
elles ne paraissent pas avoir connu d'occupation préhistorique, comme la "Cave
Chaude", si d'autres ont été anciennement fouillées, comme
le Couloir des Borderons (ou Grotte
des Fades n. 2), certaines avaient livré, dès avant guerre, d'intéressantes
indices à A. Ragout, en particulier un abri démantelé
situé à l'extrémité du Couloir des Borderons et presque au sommet du versant abrupt dominant la rivière, bien au-dessus de l'Abri du Bronze. Peu après la guerre, j'avais fait un sondage prometteur
dans ce gisement, que je décidai d'appeler "Abri André Ragout", en souvenir de son inventeur, décédé en 1940. Il n'en a pas été de même en 1956. J'arrivai en Charente à la fin de la première semaine de juillet, et ma première visite fut pour de Bois-du-Roc. Il était livré au pillage. Les coupes témoins de l'Abri du Chasseur avaient été entamées; on avait creusé dans la grotte des Fades (ou grotte des Fenêtres, connue aussi sous le nom de grotte sépulcrale de Vilhonneur), dans le couloir voisin des Borderons (dit aussi Grotte des Fades n. 2) et surtout derrière cet éperon, à l'Abri André Ragout. Partout les déprédations étaient très fraîches; aucune feuille
morte ne les avait encore masquées; les auteurs n'étaient pas loin. J'appris qu'ils campaient dans
un pré, au pied du Bois-du-Roc, non loin de la rivière.
Ils levèrent le camp à l'aube suivante. Qu'elles que soient les suites administratives, voire judiciaires,
que cette malheureuse affaire peut comporter, elles ne répareront pas le dommage causé à la
science. C'est ce dommage qui est la vraie condamnation des pillards, et c'est pour cela que je veux le mesurer
avec soin. Dès que j'eus achevé le nettoyage et la remise en état de l'Abri du Chasseur, et comme je n'avais pas encore reçu pour ce gisement
l'autorisation et les crédits de fouilles que j'avais demandés, je décidais, en août,
de transporter le chantier à l'Abri A. R. et d'y cribler
tous les déblais des vandales avant de les éliminer et de dégager les horizons archéologiques
encore Intacts. Ce travail assez fastidieux, écœurant, allait demander un mois. J'y fus aidé par
ma femme, mon fils et son camarade J. Coupillaud, enfin par
mon collaborateur du Bardo, J. Tixier, qui venait de travailler avec Mlle Henri-Martin,
à La Quina. Voici l'inventaire de ce que nous avons recueilli.
Il se passe de commentaires. une caisse d'1/2 m3 environ
6 portoirs
1 portoir
60
17
1 portoir
1 portoir
1 portoir
1 portoir
19
50
26
151
109
49
175
30
1 grande boîte non décomptée
1 grande boîte non décomptée
30
Le problème commence au-dessous. A l'Abri du Chasseur, un peu de Solutréen avait été recueilli par M. Bertrand, avant que les foyers aurignaciens ne fussent découverts. L'importance des témoignages subsistant à l'Abri A.R. : 19 fragments, et certains autres indices, font supposer l'existence d'un niveau de Solutréen évolué, à pointes à cran. S'il en était ainsi, la destruction de cet horizon serait encore plus regrettable, car le Solutréen est rare à VIhonneur, mis à part le Placard, évidemment. D'autres indications, encore très sujettes à caution, me font penser que, sous ce Solutréen, il y avait un niveau "Gravettien" très riche en burins de Noailles. Les fouilles que je me propose d'effectuer en 1957 sous les blocs qui ont protégé ce qui subsiste des foyers me permettront, je l'espère, d'être plus affirmatif. En attendant, j'ai clôturé le gisement d'une manière qui doit être infranchissable pour quiconque n'a pas la volonté de piller et détruire, envers et contre tout. Si ces lignes tombent sous les yeux des responsables de ce désastre scientifique, qu'ils sachent que la restitution des documents volés, fut-elle anonyme, est le premier geste que l'on attend d'eux. Quant à l'arrêt de leurs activités néfastes, ils feraient mieux de ne pas attendre qu'il leur soit, par les moyens appropriés, imposé. Extrait du Bulletin de la Société Préhistorique Française, LIV, 1957, N. 1-2 |
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