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Un Gisement Martyr :

L'Abri André Ragout, au Bois-du-Roc
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(Vilhonneur-Charente)
par
Lionel Balout

A Vilhonneur, c'est-à-dire à mi-route entre Montbron et La Rochefoucauld, la rive gauche de la Tardoire est dominée par une série d'éperons calcaires plus ou moins détachés du plateau. Les cartes les figurent comme un groupe de buttes-témoins. En fait, seul un de ces monticules est complètement isolé dans la vallée : c'est le "Roc plat", plus connu depuis que la végétation forestière l'a envahi, à la fin du siècle dernier, sous le nom de "Bois-du-Roc".

Ce nom est familier aux préhistoriens. Il désigne une céramique de l'âge du Bronze dont les tessons jonchent encore la terre noire superficielle du Bois; on a gardé le souvenir de la "Grotte sépulcrale" ou "Grotte des Fades" et de l'Abri du Bronze, fouillés autrefois; beaucoup ont visité le chantier de l'Abri du Chasseur, ouvert par mon beau-père, André Ragout, en 1933. On sait enfin que le Bois-du-Roc s'inscrit dans un ensemble remarquable de stations paléolithiques, dont les plus connues sont le Placard, l'Ammonite, la Cave et, de part et d'autre de Vilhonneur, La Chaise, Montgaudier, Fontéchevade et Marîllac.

En fait, le Bois-du-Roc est une véritable taupinière et j'y connais de nombreuses cavités plus ou moins explorées. Si plusieurs d'entre elles ne paraissent pas avoir connu d'occupation préhistorique, comme la "Cave Chaude", si d'autres ont été anciennement fouillées, comme le Couloir des Borderons (ou Grotte des Fades n. 2), certaines avaient livré, dès avant guerre, d'intéressantes indices à A. Ragout, en particulier un abri démantelé situé à l'extrémité du Couloir des Borderons et presque au sommet du versant abrupt dominant la rivière, bien au-dessus de l'Abri du Bronze. Peu après la guerre, j'avais fait un sondage prometteur dans ce gisement, que je décidai d'appeler "Abri André Ragout", en souvenir de son inventeur, décédé en 1940.
Je n'envisageais pas d'y faire une fouille suivie avant que celle de l'
Abri du Chasseur ne fut achevée. Nous passions trop peu de temps en Charente, chaque été, pour mener simultanément deux fouilles et c'eût été retarder l'achèvement et la publication de la première que d'en mettre une seconde en chantier. D'ailleurs, le Bois-du-Roc semblait bien protégé, son propriétaire, M. Gabriel Groulade, nous avait très amicalement consenti un bail couvrant tous les gisements préhistoriques de son domaine; de bons amis, habitant au pied du Bois, nous disaient chaque année que nul n'était venu en notre absence; même au sortir des six années d'abandon de la guerre, c'est à peine Si l'on avait pu déceler quelques menus grattages sans gravité.

Il n'en a pas été de même en 1956.

J'arrivai en Charente à la fin de la première semaine de juillet, et ma première visite fut pour de Bois-du-Roc. Il était livré au pillage. Les coupes témoins de l'Abri du Chasseur avaient été entamées; on avait creusé dans la grotte des Fades (ou grotte des Fenêtres, connue aussi sous le nom de grotte sépulcrale de Vilhonneur), dans le couloir voisin des Borderons (dit aussi Grotte des Fades n. 2) et surtout derrière cet éperon, à l'Abri André Ragout.

Partout les déprédations étaient très fraîches; aucune feuille morte ne les avait encore masquées; les auteurs n'étaient pas loin. J'appris qu'ils campaient dans un pré, au pied du Bois-du-Roc, non loin de la rivière. Ils levèrent le camp à l'aube suivante. Qu'elles que soient les suites administratives, voire judiciaires, que cette malheureuse affaire peut comporter, elles ne répareront pas le dommage causé à la science. C'est ce dommage qui est la vraie condamnation des pillards, et c'est pour cela que je veux le mesurer avec soin.
A l'
Abri André Ragout, on s'était attaqué à la petite terrasse qui s'étend au pied de gros blocs affaissés. Ces blocs recouvrent et scellent des portions encore intactes des foyers. La terrasse fut culbutée, à grands coups de pelle (pelle-bêche de l'armée américaine, m'a-t-on dit au village. En plus, on m'avait "emprunté" une vieille pelle laissée à l'Abri du Chasseur). Le roc et la brèche osseuse porteront longtemps encore les marques de "fouille" faite avec la délicatesse d'un viol. Les roches furent jetées à la pente et les couches archéologiques avec elles, si bien qu'au pied de l'abri, nous étions en présence d'un cône de déblais chaotique s'étendant sur des dizaines de m2 et ayant jusqu'à plus de 70 cm. d'épaisseur. A sa surface, des ossements brisés et des silex taillés. Parmi ceux-ci, des fragments de feuilles de laurier solutréennes et des burins de Noailles. De tels vestiges trahissaient l'inexpérience des vandales, la brutalité de leurs méthodes de fouille, le choix d'objets de collection qu'ils étaient venus faire. Leur présence à la surface des déblais qu'aucune pluie ne semblait avoir encore délavés, conduisait à soupçonner que la masse même de ces déblais devait en contenir un plus grand nombre. Certes, on n'avait pratiqué aucun tamisage; on avait fouillé et rejeté la terre comme fait le chien avec ses pattes.

Dès que j'eus achevé le nettoyage et la remise en état de l'Abri du Chasseur, et comme je n'avais pas encore reçu pour ce gisement l'autorisation et les crédits de fouilles que j'avais demandés, je décidais, en août, de transporter le chantier à l'Abri A. R. et d'y cribler tous les déblais des vandales avant de les éliminer et de dégager les horizons archéologiques encore Intacts. Ce travail assez fastidieux, écœurant, allait demander un mois. J'y fus aidé par ma femme, mon fils et son camarade J. Coupillaud, enfin par mon collaborateur du Bardo, J. Tixier, qui venait de travailler avec Mlle Henri-Martin, à La Quina. Voici l'inventaire de ce que nous avons recueilli. Il se passe de commentaires.
1) Faune
- Débris osseux

une caisse d'1/2 m3 environ

- Ossements déterminables
On note la prédominance du Renne, représenté par des fragments de mâchoires, des dents isolées, des vertèbres, humérus, cubitus, phalanges, tibia, astragales et calcanei, métacarpes et métatarses, scaphoides et cuboides, etc... En second lieu viennent Bovidés et Equidés. On note par ailleurs la présence du Cerf, du Bouquetin et de quelques autres espèces à préciser

6 portoirs

2) Industrie de l'os et du bois de renne
- Bois de renne très fragmentaires

1 portoir

- Os portant des marques

60

- Objets polis en os ou en bois de renne, surtout fragments de poinçons à fût cylindrique ou à face plane

17

3) Poterie
- Tessons céramiques, certains ornés (incision où impression)

1 portoir

4) Industrie lithique  
- Déchets de taille (silex)

1 portoir

- Pierres diverses rapportées dans le gisement par les hommes préhistoriques (galets de rivière, ocre rouge et jaune, etc..)

1 portoir

- Pièces de technique : Nucléi, rabots, éclats de ravi vage, etc

1 portoir

- Pièces solutréennes Feuilles de laurier, Pointes à cran (fragments)

19

- Dos abattu (technique du..)

50

- Grattoirs divers (en majorité sur bout' de lame)

26

- Burins divers

151

- Burins sur petits éclats ou sur lamelles (Noailles) Beaucoup sont doubles, triples ou même quadruples

109

- Pièces rares (coches, denticules, perçoirs, etc...)

49

- Lamelles de coup de burin

175

- Lame à crête

30

- Lames

1 grande boîte non décomptée

- Lamelles

1 grande boîte non décomptée

- Divers

30


Au total, 1 caisse d'ossements, 11 portoirs et 2 boîtes non décomptés, 716 objets inventoriés. Il est patent que ni la faune, ni les burins, ni les pièces de technique n'ont intéressé les fouilleurs clandestins, ni, malheureusement, la stratigraphie du gisement. Celle-ci ne peut encore être précisée. Qu'il y ait eu, en surface, une couche noire riche en tessons céramiques de l'
Age du Bronze, comme partout ailleurs sur le Bois-du-Roc, ne fait aucun doute. Certains silex, un peu de faune, des pierres diverses doivent être rapportés à ce niveau, par analogie avec ce que nous connaissons à l'Abri du Chasseur, où cet ensemble est bien développé (couche N).

Le problème commence au-dessous.

A l'Abri du Chasseur, un peu de Solutréen avait été recueilli par M. Bertrand, avant que les foyers aurignaciens ne fussent découverts. L'importance des témoignages subsistant à l'Abri A.R. : 19 fragments, et certains autres indices, font supposer l'existence d'un niveau de Solutréen évolué, à pointes à cran. S'il en était ainsi, la destruction de cet horizon serait encore plus regrettable, car le Solutréen est rare à VIhonneur, mis à part le Placard, évidemment. D'autres indications, encore très sujettes à caution, me font penser que, sous ce Solutréen, il y avait un niveau "Gravettien" très riche en burins de Noailles.

Les fouilles que je me propose d'effectuer en 1957 sous les blocs qui ont protégé ce qui subsiste des foyers me permettront, je l'espère, d'être plus affirmatif. En attendant, j'ai clôturé le gisement d'une manière qui doit être infranchissable pour quiconque n'a pas la volonté de piller et détruire, envers et contre tout. Si ces lignes tombent sous les yeux des responsables de ce désastre scientifique, qu'ils sachent que la restitution des documents volés, fut-elle anonyme, est le premier geste que l'on attend d'eux. Quant à l'arrêt de leurs activités néfastes, ils feraient mieux de ne pas attendre qu'il leur soit, par les moyens appropriés, imposé.

Extrait du Bulletin de la Société Préhistorique Française, LIV, 1957, N. 1-2


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